Clémence Seurat

Crash Poli de Magali Daniaux et Cédric Pigot

Citadelles du vertige

– des villes à la dérive, des concrétions narratives, des agencements monstrueux. Des mondes humains flottent dans les airs. Arrachés du sol, déracinés, ils emportent dans leur errance une multitude en disgrâce : muscles machiniques, farandoles de corps, crashs de robots, processions de sages sadiques, jouissances déviantes. Des bribes de personnages agonisent dans leur propre violence et tentent de s’extirper de ce magma grouillant. Avec fureur. Avec malice parfois. En vain. Pour fuir où ?

Crash plantes poli

– des fossiles, des plantes à la sagesse ancestrale, des artefacts et des restes humains ont été extraits d’une même roche en différents points du monde. Ils sont les témoins d’un temps qui a sédimenté, dont il ne reste qu’une strate géologique d’où prélever des objets d’étude. Dans un même mouvement, organismes vivants et objets d’artisanat ont été métabolisés puis pétrifiés. Le paysage qu’ils composent traverse les âges.

Les militants du noyau cool

– un peuple de mutantes converge. La mégafaune bleue cohabite avec le phylum aux pieds articulés dans une minga futuriste. Des êtres à la forme encore instable, issus d’embranchements génétiques variés, sortent de leurs coquilles. Ils pullulent et conspirent à la régénération des sols. Émergeant des dévastations environnementales, ils sont les enfants des bactéries qui ont rendu la planète fertile et habitable.

La Terre et le Soleil

– la Terre et le Soleil se rejoignent sur la ligne d’horizon, dans le temps épais des mythes. Les créatures, les temporalités et les échelles se bousculent. Les nouvelles histoires qui s’écrivent n’ont plus pour centre les humains mais se tissent d’intelligences animales et de sensibilités végétales.


Ce que nous découvrons ici est l’infra-monde qui soutient le nôtre. À l’écart des humains, relégués dans des collages sur les murs, des espèces férales, échappées des ravages écologiques, conspirent à retisser la trame effilochée du vivant. Résistantes, résurgentes, ces espèces se sont transformées au contact des altérations climatiques. Elles s’affairent maintenant à fertiliser la terre à partir de rebuts électroniques et à reconstituer sa peau. Se hissant de leurs gaines, remontant le cours du temps, des fossiles reviennent à la vie. Ces créatures transgenres dansent en spirale et réactivent une forme très ancienne et élevée de biotechnologie en poursuivant l’action sur Terre des procaryotes. C’est un rituel de régénération écologique qui s’opère sous nos yeux. Un processus de restauration qui s’enclenche depuis les horizons organiques et minéraux du sol. Une incantation à la multitude ancienne des vivants.

Il y a quelques années, les artistes Magali Daniaux et Cédric Pigot ont exploré les confins du monde frigo, ce monde climatisé et hyper-contrôlé dans lequel les humains gravitent. Dans l’éternité glacée des montagnes du Grand Nord se dresse un coffre-fort contenant toutes les graines du monde. Cette forteresse du vivant est la dernière image de la vidéo « Fridge World » projetée ici avec « Hello Humans », dans laquelle des intelligences aliens s’adressent aux humains, dans leur monde crépusculaire.

Comment la vie se perpétue-t-elle dans le monde frigo ? Comment subsiste-t-elle dans l’enfer de l’Anthropocène ? Les œuvres Magali Daniaux et Cédric Pigot cultivent l’imagination et proposent des récits de continuité, sérieux et délirants, pour faire face aux histoires d’extinction. L’extinction, comme nous le rappelle l’écrivain et philosophe Thom van Dooren, n’est pas quelque chose « qui commence, se produit rapidement, puis se termine », c’est un lent « effilochage de modes de vie intimement enchevêtrés ». Au milieu de ces dégradations, les artistes convoquent et insufflent des formes de vie renouvelées. Les œuvres exposées ici nous donnent à voir ce qui réussit à vivre malgré tout, une zone fragmentaire de ce que l’anthropologue états-unienne Anna Tsing nomme la troisième nature. Pour y prêter attention, nous dit-elle, « il nous faut échapper à l’idée que le futur est cette direction particulière qui ouvre le chemin devant nous. Comme les particules virtuelles dans un champ quantique, de multiples futurs apparaissent et disparaissent du champ des possibles ; la troisième nature émerge de cette polyphonie temporelle. »

Magali Daniaux et Cédric Pigot nous plongent dans l’un de ces possibles, dans un espace-temps qui résiste aux perturbations. Les paysages habités d’étrangeté qu’ils dessinent subsistent quelque part, dans les marges et les interstices. Ils proviennent d’agencements nouveaux entre des vivants et des milieux abîmés.

Un peuple de mutants, issus des marges indociles, converge. Le battement d’aile d’un papillon, le grésillement d’une mouche électronique, des algues symbiotiques irradient la vitalité du monde. Ils nous invitent à danser avec eux dans le crépuscule.

Clémence Seurat


Hongos de Magali Daniux et Cédric Pigot. Encre sur papier, 75 x 110 cm, 2022. Collection privée.

Vues de l'exposition Crash poli au centre d'art d'Istres.

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